Par Mélissa Favier Bosson (2MF - Lower Elementary Class)
La reconnaissance des émotions chez les enfants est tout aussi importante que chez les adultes, la différence est que nous, adultes, nous avons plus de facilité à les nommer, à les exprimer. Ce n’est pas toujours le cas chez les enfants, ils n’ont pas encore les outils nécessaires. Ils peuvent identifier leurs ressentis sans pour autant savoir comment les exprimer clairement avec des mots. Cela se transforme en frustration avec des comportements qui peuvent montrer de la tristesse, de la colère et même parfois de la violence.
Un enfant qui est frustré va l’exprimer dans son comportement d’une multitude de manières différentes, qui parfois peuvent nous attrister, nous mettre nous aussi en colère ou nous laisser dans le questionnement, sans savoir comment les aider.
Et en même temps, nous pourrions tout simplement inverser ce processus en donnant des clés à l’enfant pour reconnaitre, exprimer, verbaliser ce qu’il ressent pour qu’un dialogue constructif se mette en place.
Prenons l’image de l’iceberg (1) : la partie hors de l’eau représente le comportement visible de l’enfant et la partie immergée représente tout ce qui se passe dans son esprit et son corps : les sentiments, les frustrations, les joies, les colères, les besoins, etc.
Dans une situation difficile pour l’enfant, si nous agissons uniquement sur la partie visible pour palier à une difficulté, à une frustration, ce comportement risque fort de revenir sans que l’enfant sache comment réagir lorsqu’il y sera de nouveau confronté. Il aura donc un comportement similaire et il viendra nous voir pour que nous agissions de nouveau pour lui, pour résoudre la situation à sa place.
Prenons un exemple : Noé prend le jeu des mains de Léa. Cette dernière le tape et se met à pleurer. Deux enfants pleins de larmes arrivent vers nous en s’accusant mutuellement. Si notre réaction est simplement de dire à Noé de rendre le jeu et de demander pardon, nous n’aidons ni l’un, ni l’autre.
En effet, Noé n’aura pas compris la frustration de Léa, développé de l’empathie pour elle et appris à formuler une demande respectueuse - il ne pensait pas à mal, il avait simplement envie de jouer lui aussi. De son côté, Léa n’aura pas les clés nécessaires pour exprimer sa frustration avec des mots, sans pleurs, et se sentir confiante de dire non la prochaine fois que quelqu’un lui prend un objet sans demander.
La clé est de donner ce pouvoir d’expression à l’enfant, lui redonner la possibilité d’agir en autonomie par les mots.
À l’école, voici comment nous leur offrons ces outils au quotidien :
Nous utilisons la communication non-violente (CNV). Les enfants vont s’approprier un schéma de médiation et devenir autonomes pour l’appliquer. Cet outil peut être utilisé dans une situation individuelle ou collective, et s’applique dans un contexte académique ou social.
La première étape est d’accompagner les enfants dans la reconnaissance d’un schéma :
Sentiments/ressentis- Émotions- Besoin – Demande (2)
Une partie de la frustration va disparaitre s’ils arrivent à reconnaitre et exprimer leurs sentiments.
Nous travaillons avec les enfants à leur donner un maximum de vocabulaire possible ; en commençant par les émotions simples, en ajoutant d’avantage de nuances lorsqu’ils en sont capables.
Dans un second temps, l’écoute (3) est ce qui encourage leur expression. Pour cela, nous avons créé un espace de dialogue, le « coin des émotions ». Cet espace permet aux enfants de demander des ‘réunions’ à tous moments pour faire une médiation entre eux ou alors prendre un temps, seuls, afin de réfléchir à ce qu’ils ressentent.
En tant qu’adulte, nous prenons le temps d’aller discuter avec eux, et de les accompagner dans ce processus de réflexion ou de médiation jusqu’à ce qu’ils soient assez assurés pour le faire en autonomie. Bien entendu, cette expression ne se fait pas du jour au lendemain, mais les enfants en sont tout à fait capables. Et ce, dès leur plus jeune âge. Certains éducateurs commencent dès les premiers mois de vie avec le développement du langage des signes bébé.(4)
La dernière étape est d’identifier le besoin derrière l’émotion et d’apprendre à verbaliser une demande qui y réponde.
Après avoir reformulé avec eux ce dont ils ont besoin, l’étape suivante est d’apporter des outils.
Dans le cas de Noé et Léa, nous pouvons leur proposer de trouver un jeu commun, ou alors que Léa donne une limite de temps avant de passer le jeu à Noé. Une multitude de solutions sont possibles ; elles viennent souvent des enfants et décidées d’un commun accord. Nous leur proposons ensuite de faire un geste apaisant l’un envers l’autre. Celui-ci sera en quelque sorte un moyen de réparer le tort précédemment fait.
Donner ces outils aux enfants leur apporte des solutions qu’ils pourront appliquer de manière autonome lorsqu’ils seront prêts. Nous les rendons indépendant de l’adulte, responsables et acteurs de la gestion de leurs émotions.
En tant qu’adulte, nous sommes présents pour accompagner ce processus de discussion, donner le vocabulaire nécessaire et proposer des idées de ‘sortie de crise’.
L’exemple précédent de Noé et Léa donnait le cas de deux enfants en conflit. Cependant, ce processus s’applique tout aussi bien à un enfant qui doit gérer une émotion forte dans un cadre individuel. Par exemple, un enfant frustré de ne pas réussir à faire un travail, un enfant contrarié par la perte d’un objet, ou le contretemps d’une situation et la frustration de ne pas pouvoir faire ce qu’il espérait à ce moment-là.
En premier lieu nous encourageons l’expression des ressentis. Puis vient la reconnaissance des émotions. Ensuite, l’analyse des besoins. Enfin, nous proposons des outils pour que l’enfant formule une demande.
« Comment puis-je agir pour avoir un résultat différent et acceptable pour moi dans une situation similaire ? » L’implication de l’enfant dans la réflexion et la recherche d’une proposition le rend proactif dans la situation. Il saura comment réagir les prochaines fois où il sera confronté au même schéma.
Valider un sentiment et un besoin chez un enfant ne signifie pas accepter tout ce qu’il demande sous prétexte qu’il est frustré, en colère ou triste. Nous allons plutôt transmettre des outils pour que l’enfant puisse sortir de cet état. Une fois le sentiment et le besoin reconnu, nous proposons par exemple : « Voudrais tu courir dehors ou faire un dessin de ta colère ? ».
Certains des outils que nous utilisons et mettons à disposition au sein de la classe comprennent : la roue des émotions avec des propositions d’activité, des images représentant différentes émotions, des cartes de Brain gym et de yoga, des exercices de relaxation et respiration, des balles ‘anti-stress’, etc. Chaque enfant trouvera un moyen de transformer son émotion de manière positive.
Nous travaillons également lors de temps de groupe
sur la visualisation des émotions afin d’aider à les reconnaitre. Il existe de nombreux exercices pour que les enfants réalisent de manière sensorielle ce qu’est et ce qu’implique une
émotion.
Par exemple avec l’exercice des mots blessants : Donner deux pommes aux enfants, une préalablement tapée contre le sol et donc abimée à l’intérieur (sans que cela soit visible à l’extérieur) et une autre intacte. Leur demander de dire à la première des mots blessants et à l’autre des choses agréables à entendre. Nous coupons ensuite les pommes en deux, le résultat est visible et on peut donc discuter avec eux pour déduire que nous pouvons être blessés par des mots également, non pas physiquement mais dans notre cœur. Voilà par exemple une des visualisations par laquelle on peut faire comprendre à l’enfant la nature d’une émotion.
La méditation est également une technique pour développer la concentration, l’apprentissage du ressenti et de la réflexion chez l’enfant. (5)
Nous appliquons chaque jour cette gestion des émotions qui aide les enfants à mieux s’exprimer et vivre ensemble au quotidien.
De l’application de cet apprentissage émotionnel et social découle le respect pour soi, le respect de l’autre, et le savoir-vivre en groupe. Ils se sentent plus libres de s’exprimer et la bienveillance s’invite en classe.
Tout cela leur bénéficie car un enfant serein sera disponible pour les apprentissages, la mémorisation et prendra du plaisir à travailler.
Alors aidons les à se sentir heureux pour mieux apprendre !
Références dans l'article
[1] Métaphore issue de la Discipline
Positive
[2] « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » - Marshall B. Rosenberg - Communication non-violente
[3] « Parler pour que les enfants écoutent, Ecouter pour que les enfants parlent »- Faber et Mazlish
[4] « Les bébés signeurs, le langage gestuel avec bébé » - N. Bouhier-Charles (Ed. Jouvence, 2010)
Ou « Signe
avec moi » - du même auteur
[5] « Calme et attentif comme une grenouille » - E. Snel (Les arènes , 2017)
Autres références
Grosse
colère - Mireille D'Allancé (Ecole des loisirs 2001)
Dans mon petit coeur - Roussey et Witek (Broché 2013)
Aujourd'hui je suis... - Mies Van Hout (Mineditions 2011)
Au coeur des émotions des enfants - I. Filliozat (Marabout)
Deux Mille Feuilles
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